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Touche pas à mon contrat invisible !

LA CONFIANCE, NOUVELLE ARME DU MANAGEMENT ? 2/31.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d’une nouvelle organisation de l’entreprise, voire d’un pays. « La Tribune », en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d’une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.

Pourquoi a-t-on envie de se lever et d’aller travailler chaque matin ? La réponse à cette question ne figure pas dans le contrat de travail. Pourquoi l’entreprise apprécie-t-elle un collaborateur et souhaite-t-elle le voir évoluer et grandir ? Le contrat de travail ne le dit pas non plus. Pourtant, un nouvel embauché le comprend vite. Il détecte naturellement les attitudes qui lui vaudront reconnaissance tout autant que celles qui susciteront réprobation. Dans telle entreprise industrielle, il faudra, même pour les non techniciens, afficher un intérêt marqué pour l’innovation et les questions technologiques. Dans telle autre, au contraire, c’est en parlant contrat, relation commerciale et succès client que l’on s’attirera les faveurs de sa hiérarchie comme de ses collègues. Faute de mieux et de façon assez vague, on appelle cela la culture d’entreprise.

Ce qui lie la motivation individuelle à la destinée collective

En réalité, la culture d’entreprise est une transaction. En échange de certains comportements, inexprimés mais attendus, l’entreprise offre diverses gratifications à ses collaborateurs. Ces gratifications peuvent être très concrètes (une promotion, une distinction, du matériel neuf…), mais elles sont aussi bien souvent de l’ordre du psychologique et de l’intangible (estime de soi, prestige, camaraderie, sentiment d’utilité ou de participer à une aventure exaltante…). Cet échange, nous l’avons baptisé le « contrat invisible® » car il fonde le pacte tacite – et fondamental – qui rattache la motivation individuelle à la destinée collective. Il établit les comportements qui sont valorisés et, a contrario, ceux qui sont proscrits. Il identifie les acteurs clés qui attestent de ces comportements et qui décernent les gratifications correspondantes. Il instaure des temps forts, où le collaborateur se sent plus que jamais en résonance avec son entreprise. Et, bien qu’il ne soit transcrit nulle part, le contrat invisible constitue l’un des éléments les plus pérennes de l’entreprise dont il contient en quelque sorte l’ADN.

De l’intérêt d’expliciter

Grâce à des entretiens avec des collaborateurs issus de toutes les composantes de l’organisation, il est possible d’expliciter ce contrat invisible, de mettre noir sur blanc ce que l’entreprise attend des individus et ce que ceux-ci escomptent en retour de leur investissement. Mais quel intérêt peut-il y avoir à formuler ce qui, en somme, a toujours fonctionné de manière implicite ? En réalité, dans les périodes de transformation, l’ADN de l’entreprise peut être le plus précieux allié du changement comme son plus farouche adversaire. Pour un dirigeant, connaître les ressorts intimes de la motivation de ses collaborateurs et de leur attachement à l’entreprise, c’est disposer, en vue des évolutions futures, d’une cartographie des pièges à éviter, des leviers susceptibles d’être actionnés, des aspects à préserver et de ceux qui devront évoluer.

Anticiper les risques d’un désalignement entre culture et stratégie

Décrypter le contrat invisible permet ainsi de comprendre quels freins peuvent s’opposer à une nouvelle stratégie et à sa mise en œuvre. Par exemple, si les impératifs stratégiques et managériaux du passé ont toujours valorisé un travail acharné et discipliné, ce formatage sera profondément inscrit dans le contrat invisible. Lancer une stratégie très expansionniste sera alors très délicat car les termes d’« entrepreneur » ou de « conquérant » effraieront plutôt qu’ils mobiliseront. Le contrat invisible permet aussi d’anticiper la difficulté d’un changement. Plus profondément seront ancrés les termes du contrat remis en cause, plus la résistance sera forte et la confiance ébranlée. L’attachement des fonctionnaires à la notion de service public constitue un bon exemple de ces « vaches sacrées » dont l’évolution réclame beaucoup d’énergie et de doigté. Enfin, le contrat invisible permet d’établir la composition culturelle de l’entreprise, notamment lorsqu’elle est le fruit d’une longue histoire de rapprochements, de fusions et de rachats, et de mettre à jour des divergences rémanentes qui fragilisent l’ensemble et contrarient son évolution.

On le voit, un désalignement entre les objectifs d’une transformation et les termes du contrat invisible crée des tensions au sein de l’organisation qui, elles-mêmes, entraînent une perte de confiance individuelle et collective face aux nouveaux enjeux. Or, sans confiance, pas d’adhésion, et sans adhésion, point de transformation réussie. Dans un monde en constant bouleversement où, pour s’adapter, il faut pouvoir manœuvrer avec adresse et rapidité, la capacité à se transformer sans craindre de briser la poutre maîtresse de la confiance est donc fondamentale. Ce n’est possible qu’en connaissant parfaitement l’ADN du corps social de l’entreprise, autrement les termes de son contrat invisible, puis en s’attachant à faire évoluer le maillon approprié pour conserver, ou rétablir, l’alignement entre culture et stratégie.

Jean-Luc FALLOU (Insead, École des Mines) est le président de Trust Management Advisors-Stratorg depuis 1998, il est également le président-fondateur de Trust Management Institute.

Jacques LEFEVRE (Isae-Supaero) est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg et cofondateur de Trust Management Institute.

PROCHAIN ARTICLE : La confiance française se reconstruira par le bas 
par Jean-Luc Fallou et Brigitte Wartelle

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