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Avec la confiance, le développement durable passe à l’âge adulte

LA CONFIANCE, OU COMMENT RASSEMBLER LE TROUPEAU DE CHATS [24/31]. Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d’une nouvelle organisation de l’entreprise, voire d’un pays. « La Tribune », en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d’une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.

Les entreprises ne vivent pas dans une bulle avec leurs clients, leurs partenaires et leurs fournisseurs. Inévitablement, leurs activités ont des répercussions sur le monde extérieur, parfois positives (une implantation attractive qui dynamise un territoire), parfois négatives (des nuisances pour les riverains immédiats). L’objet du développement durable est de prendre en considération ces externalités pour éviter qu’elles ne finissent par se retourner, d’une façon ou d’une autre, contre celui qui les produit.

Dans le monde du troupeau de chats, où chaque individu s’estime légitime à faire valoir ses convictions et son intérêt personnel, les externalités négatives sont de moins en moins tolérées. Avec la prise de conscience environnementale, le prix attaché au cadre de vie, la sensibilité aux questions éthiques et sociétales, mais aussi la rapidité et la transparence de l’information et le poids considérable de la réputation, les entreprises ne peuvent plus les ignorer. Faire évoluer leur modèle de manière à prendre en compte ces nouvelles exigences, tel est, pour elles, l’enjeu du développement durable et de la politique RSE (Responsabilité sociale et environnementale) à travers laquelle elles le mettent en œuvre.

À l’origine, la RSE se limitait à forme ciblée de communication. On publiait des rapports dans lesquels on compilait tout ce qui, de près ou de loin, pouvait s’inscrire dans cette thématique. Puis, la pression augmentant, les entreprises sont passées à une approche active et globale. Elles ont défini des indicateurs correspondant aux attentes des parties prenantes, des plans de progrès et des actions correctrices, intégrant par exemple de nouveaux critères dans leurs projets ou leurs appels d’offres. La limite de ce foisonnement d’initiatives est qu’il est purement défensif, tactique et moyen-termiste, et qu’il n’engage aucun arbitrage majeur ni remise en cause profonde.

La RSE, entrée dans l’âge adulte, est un levier de création de valeur

Aujourd’hui, après ces deux temps de l’enfance et de l’adolescence, l’urgence et la nécessité commandent au développement durable d’entrer de plain-pied dans l’âge adulte. Désormais, la RSE doit relever de la stratégie, passer du progrès à l’arbitrage, de l’amélioration de l’existant à des choix structurants, que ce soit en matière de conception des produits, de positionnement ou d’investissements. L’approche n’est plus seulement défensive mais offensive car la réflexion porte aussi sur la recherche d’éléments différenciants et d’avantages concurrentiels. La RSE n’est plus seulement un rempart contre de nouveaux risques mais un levier de création de valeur.

Trois aspects sont incontournables dans cette évolution. Le premier est que l’entreprise doit envisager ses prix au regard de la totalité des coûts et des risques tant pour elle-même que pour autrui. Si le montant est trop faible, elle n’aura pas les moyens de financer les mesures de remédiation nécessaires. S’il est trop élevé, elle dépassera ce que ses clients sont prêts à payer pour avoir la garantie que ces mesures ont été prises et elle sera sortie du marché. Le deuxième aspect nouveau est que l’entreprise ne doit plus seulement dialoguer avec ses interlocuteurs traditionnels mais aussi avec une multiplicité de parties prenantes – collectivités, associations, ONG… – afin de les informer de ses projets, de connaître leurs préoccupations et leurs attentes, et d’établir avec elles une relation solide et constructive. Enfin, le troisième aspect à considérer, est l’appropriation des enjeux RSE par les collaborateurs. Sans eux, il sera impossible de concrétiser le changement et d’atteindre les nouveaux objectifs. Le point positif est que ce sont des sujets auxquels ils sont souvent sensibles et qu’en donnant ainsi un sens à leur travail, on peut démultiplier leur engagement ; le risque est qu’ils sont aussi très vigilants et bien informés, et qu’ils seront impitoyables s’ils détectent un manque de sincérité.

Appréhender les deux complexités majeures du développement durable

Le point commun de ces trois aspects clés est qu’ils reposent en très grande partie sur la confiance. C’est la confiance accordée par les clients qui permet de leur répercuter une partie du coût des externalités. C’est la confiance qui permet d’avoir une relation durable et productive avec des parties prenantes auxquelles on n’est pas lié par contrat et, en particulier, de sortir des logiques paralysantes de l’extrême précaution, de l’inflation réglementaire ou des interminables procédures d’expertise et de contre-expertise. Enfin, c’est la confiance réciproque entre l’entreprise et ses collaborateurs qui permet de les mobiliser pleinement au service de cette transformation.

Le développement durable nécessite en somme d’appréhender deux complexités majeures : d’une part, la maîtrise des relations au sein d’un réseau toujours plus étoffé de parties prenantes et, d’autre part, la maîtrise de risques mouvants et extrêmement hétérogènes. Or, les approches contractuelles tradtionnelles, trop bilatérales et trop formalistes, traitent mal les situations à la complexité et à l’incertitude croissantes, sont peu à l’aise avec l’interdépendance, et se méfient des relations dont la durée n’est pas bornée. Il n’est donc pas étonnant qu’elles se révèlent mal adaptées aux enjeux du développement durable. À l’inverse, la confiance permet d’aborder ceux-ci avec agilité et efficacité, ce qui en fait une, voire LA, technologie clé de la RSE. L’entreprise qui saura la susciter et l’entretenir sera ainsi en mesure de se doter d’une véritable stratégie en la matière, et de trouver son positionnement et son équilibre entre les extrêmes de l’angélisme et du cynisme, tout aussi dangereux l’un que l’autre. C’est pourquoi il y a fort à parier que dans l’entreprise de demain, où la RSE sera centrale, la revue partagée du niveau de confiance soit un sujet de préoccupation majeur pour les dirigeants et/ou les administrateurs.

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LES AUTEURS

Philippe DRENO (ESPCI, DEA de sciences des matériaux, MBA INSEAD) est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg, fondateur de Trust Management Institute.

Gilbert FONT (HEC, SCPO Paris, IMD), avec une expérience de quarante ans en tant que directeur financier, DRH et directeur général, est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg.

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