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Quand la confiance réveille la belle endormie

LA CONFIANCE, OU COMMENT RASSEMBLER LE TROUPEAU DE CHATS. [5/31] Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d’une nouvelle organisation de l’entreprise, voire d’un pays. « La Tribune », en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d’une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.

Nous sommes au début des années 2000 dans une grande entreprise industrielle française. Très dépendante du cours des matières premières, son activité, longtemps prospère, subit de plein fouet un brusque retournement de conjoncture. Pour son nouveau PDG, ces soudaines difficultés mettent en lumière les faiblesses structurelles de cette belle endormie qu’il va dès lors s’employer à réveiller à l’aide d’un outil que lui-même n’attendait pas : la confiance.

Malgré un net rebond dès l’exercice suivant, ce moment délicat, marqué par un plan social et des fermetures de sites, a laissé des traces. Le PDG trouve son entreprise démoralisée, démobilisée, et il est décidé à la redynamiser. En outre, il souhaiterait réformer le mode de fonctionnement très centralisé instauré par son charismatique prédécesseur. Pour sa part, il préfèrerait que les responsabilités soient davantage distribuées afin de mieux tirer parti des forces disséminées dans une organisation internationale et très hétérogène.

Comprendre les causes de l’apathie de son entreprise

Lorsqu’on lui suggère que la confiance pourrait lui permettre d’atteindre ce double objectif, le dirigeant se montre dubitatif sur ce qu’il considère comme un « truc de boy scout » (sic). Il se laisse néanmoins convaincre d’expérimenter la méthode du Contrat invisible™ dont il espère qu’elle lui révèlera les causes de l’apathie de son entreprise. En effet, le Contrat invisible permet de pénétrer au plus profond des rouages de l’organisation, dont il en fournit une cartographie culturelle en explicitant les attitudes, les comportements et les valeurs caractéristiques de ses collaborateurs.

Dans ce groupe à la longue histoire, scindé en trois lignes d’activité d’origines différentes et largement indépendantes, la démarche met en évidence sept types de profils très différents.

Premièrement, les « artisans autonomes » : ce sont des ingénieurs et des techniciens très compétents, attachés à la belle ouvrage, mais habitués à travailler seuls, hermétiques aux suggestions extérieures et peu enclins au changement.

Deuxième population, les « orphelins loyaux » : tout dévoués à leur ancien chef, ils perpétuent avec ferveur sa tradition et regimbent à remettre en cause son héritage.

Troisièmement, les « missionnaires du management » : recrutés hors de l’entreprise pour leur expérience, ils ont découvert une terre quasiment vierge de méthodes managériales qu’ils entendent donc évangéliser ; mais face à l’inertie et aux réticences, beaucoup ont baissé les bras.

Quatrièmement, les baroudeurs : prêts à sauter dans le premier avion pour une mission d’exploration, une intervention urgente ou un projet atypique, ces quelques aventuriers sont une caution et une vitrine pour le groupe ; eux non plus ne voient pas d’un bon œil la mise en place de processus structurés.

Cinquièmement, les « colons confortables » : expatriés, ils ont pris racine dans leur pays d’adoption, y jouissent d’une situation avantageuse, et esquivent tout ce qui pourrait la menacer.

Sixièmement, les « croisés du progrès » : issus d’une acquisition, leurs mots d’ordre sont la qualité, la rationalisation, la méthode et la discipline ; dans le culte de l’amélioration permanente, ils sont aux antipodes des artisans autonomes.

Enfin, septièmement, les « soldats dévoués » : eux ne vivent que dans le don de soi et la souffrance collective ; ils aiment se sentir indispensables face à un danger imminent et, dans cette entreprise qui ronronne, ce sont des combattants sans combat, au bord de la déprime.

Des forces vives fragmentées, impossible à mobiliser

À l’époque de ce diagnostic, ces sept populations se côtoyaient sans se comprendre. Des complicités de circonstance pouvaient se former mais chacun comptait son investissement à l’aune de perceptions fondamentalement différentes. Bref, les forces vives de l’entreprise étaient si fragmentées qu’il était quasiment impossible de les mobiliser toutes ensemble et de les aligner vers un objectif commun. D’où l’immobilisme du groupe par temps calme et sa difficulté à réagir face à une soudaine adversité.

Cette grille de lecture a stupéfait les collaborateurs qui s’y sont aussitôt reconnus. Mais l’analyse du Contrat invisible est bien plus qu’un constat éclairant. En donnant à comprendre la façon de penser des autres, en permettant de se mettre à leur place, elle amorce une dynamique de dialogue déterminante. Soudain, on peut parler de ses différences, et surtout le faire en des termes imagés qui dédramatisent et désamorcent les conflits. Cette liberté de ton met de la bonne humeur dans les rapports, ce qui, loin d’être anecdotique, est un premier pas fondamental vers la confiance et une nouvelle identité commune qui transcende et estompe peu à peu les différences.

Sentant que quelque chose s’enclenchait, le comité de direction, à l’origine réservé, a souhaité prolonger et étendre le projet Contrat invisible. Son déploiement a coïncidé pour l’entreprise avec une période de changements et d’investissements majeurs. De l’aveu même du PDG, sans ce travail en parallèle sur la confiance, les projets lancés à cette époque n’auraient pas connu la même réussite. Conscient qu’inventer le futur d’une entreprise nécessite l’adhésion de tous, le dirigeant a eu l’intuition gagnante qu’il fallait, pour l’obtenir, réveiller les valeurs enfouies en chacun de ses collaborateurs.

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LES AUTEURS

Jean-Luc FALLOU (Insead, École des Mines) est le président de Trust Management Advisors-Stratorg depuis 1998, il est également le président-fondateur de Trust Management Institute.

Brigitte Wartelle (Siences éco, Celsa RH) est associée chez Trust Management Advisors-Stratorg et auditeur IHEDN (54e session).

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