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Sauvons la finance par la confiance

LA CONFIANCE, OU COMMENT RASSEMBLER LE TROUPEAU DE CHATS [9/31]. Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d’une nouvelle organisation de l’entreprise, voire d’un pays. « La Tribune », en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d’une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.

« On est tous dans le même bateau ! » Quel manager n’a jamais utilisé cette image rebattue pour tenter de mobiliser ses troupes face à une difficulté ? Pourtant, pour beaucoup de salariés, rien n’est aujourd’hui plus faux. Et bien souvent, ils n’ont pas tout à fait tort. Non, tout le monde n’est pas dans le même bateau. L’une des principales raisons en est l’extrême financiarisation de l’économie en général et de la gestion des entreprises en particulier. Il ne s’agit pas ici de faire le procès de la finance, qui est naturellement indispensable au système économique, mais d’examiner comment le déséquilibre qui s’est instauré en sa faveur depuis une trentaine d’années a contribué à saper la confiance au sein de l’entreprise et, en définitive, à nuire à la création de valeur.

Avec la montée en puissance de la finance, la dynamique traditionnelle du capitalisme entre capital et travail s’est trouvée bouleversée, le premier prenant désormais largement le pas sur le second. Grâce à l’essor de produits financiers complexes, informatisés et transnationaux, le capital peut désormais croître sans passer par la case production. Les décisionnaires s’éloignent de l’entreprise, physiquement et culturellement. Souvent abruptes, leurs décisions se fondent trop exclusivement sur le quaterly report et négligent les complexités du réel. Sur le terrain, le travail lui-même est victime de cette hypergestion d’inspiration financière. Atomisé en micro-tâches à force d’optimisations, il perd le sens, voire la noblesse, qu’il pouvait avoir jadis, lorsqu’on tirait une fierté de son métier, de son outil de travail et de ses réalisations. Le travail ne gouverne plus la performance et les collaborateurs ressentent cruellement cette dévalorisation. De leur amertume découle une défiance rampante envers des systèmes de décision opaques, abstraits et lointains, qui semblent quoi qu’il arrive déconnectés de leur travail réel.

Les résistances à s’engager sur des projets de long terme

Cette prééminence de la finance affecte tout particulièrement les choix d’investissement. Bien que la valeur ne puisse parfois se créer que sur le long terme, par l’accumulation de connaissances et d’actifs, les taux d’actualisation utilisés pour gommer les distorsions temporelles favorisent toujours le court terme. Les retours immédiats, même faibles, seront systématiquement privilégiés aux investissements de longue haleine, aussi prometteurs soient-ils. Bref, bâtir pour le futur n’est souvent pas rentable. On y est d’autant moins incité que la comptabilité ne prend pas – ou guère – en compte les dépenses d’avenir (R&D, formation…) et les actifs immatériels (savoir-faire…). De plus, l’accélération de l’innovation technologique et la fluidité des capitaux dissuadent de s’engager sur la durée, l’une parce qu’elle rend les paris plus hasardeux, l’autre parce qu’elle permettra de se porter facilement vers d’autres investissements plus rémunérateurs. Dans ces conditions, les investissements lourds et structurants sont difficiles.

Heureusement, certains dirigeants et financiers, dans l’aéronautique ou la santé par exemple, savent gérer efficacement la stratégie de longs cycles. Mais dans beaucoup d’autres secteurs, le court-termisme et le manque de vision sont mal vécus par les collaborateurs et peuvent provoquer le désengagement. A contrario, le sentiment de faire œuvre commune est l’un des facteurs d’attractivité majeurs des startups.

Ce qui ronge la cohésion de l’entreprise

Le pilotage tout financier de l’entreprise vient ainsi se heurter aux aspirations personnelles des collaborateurs. Épris de liberté, de sens et désireux de maîtriser ses choix, l’individu se sent au contraire dépossédé de sa destinée par des gens en qui il n’a, de surcroît, aucune confiance, leurs intérêts étant par trop divergents. En s’insinuant dans tous les rouages de l’entreprise, l’argent remet en cause ses valeurs éthiques fondamentales et, ce faisant, ronge sa cohésion en tant que corps social. Les systèmes de rémunération adossés à des actions ou des stock-options, surtout lorsqu’ils sont associés à des performances à court terme, aggravent cette perception en poussant les dirigeants à se comporter davantage en actionnaires qu’en managers. Ils peinent alors d’autant plus à mobiliser qu’à la difficulté de comprendre leurs décisions s’ajoute un doute sur leur motivation profonde.

La crise de 2008 aurait pu constituer un électrochoc salutaire, mais les contrepoids réglementaires et comptables instaurés par la suite ont été insuffisants, et la finance a maintenu son excessive prééminence. À défaut de garde-fous extérieurs, c’est aux managers de prendre conscience des effets pernicieux de ce déquilibre sur la confiance des collaborateurs, leur implication, leur motivation, leur cohésion, et donc la performance collective de l’entreprise. À eux de veiller à construire ou reconstruire autour des enjeux humains et de long terme cette confiance sans laquelle aucune création de valeur durable n’est possible.

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L’AUTEUR

Gilbert FONT (HEC, SCPO Paris, IMD), avec une expérience de quarante ans en tant que directeur financier, DRH et directeur général, est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg.

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▶︎PROCHAIN ARTICLE : Ré-enchanter le manager en perdition par Gilbert Font et Jacques Lefevre

La publication a un commentaire

  1. Chevalier

    Financiarisation éloignée de la valeur ajoutée et court termisme: le lit de la speculation qui a conduit a tant de bulles de savon noir et à la crise de 2008.
    Alors pour 2021? Same player shoot again, ou mettra t’on en exergue le bien commun ?
    Puisse la crise sanitaire du covid nous reveiller à temps !

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