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Grands groupes et startups : la confiance, accélérateur de la France 4.0

LA CONFIANCE, OU COMMENT RASSEMBLER LE TROUPEAU DE CHATS. [8/31] Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d’une nouvelle organisation de l’entreprise, voire d’un pays. « La Tribune », en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d’une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.

À force de rationalisations et d’optimisations, les grands groupes français sont devenus des machines bien huilées, taillées pour la compétition internationale. Mais, en chemin, beaucoup ont perdu l’agilité, la créativité et la liberté sans lesquelles aucune innovation de rupture n’est vraiment possible. Or, dans la plupart des secteurs, la survie passe désormais par une mutation numérique radicale dont l’Industrie 4.0 est le symbole. Pour nos puissants mais encombrants vaisseaux hexagonaux, l’éclosion d’une « startup nation » apparaît comme la chance de négocier avec succès le crucial virement de bord du digital et de créer dans leur sillage une France 4.0.

Grands groupes-startups, une complémentarité en trompe-l’œil

Sur le papier, la complémentarité semble idéale : les startups apportent l’énergie, les idées et la familiarité avec les nouvelles technologies qui font défaut aux grands groupes, lesquels leur fournissent en retour les ressources, l’entregent et un champ d’expérimentation à grande échelle qui faciliteront leur développement. Plus ou moins sélectives dans leur stratégie de soutien, les grandes entreprises françaises multiplient donc les incubateurs, les labs et autres corporate ventures, avec bien souvent l’arrière-pensée à peine voilée d’absorber la jeune pousse si son innovation s’avérait réellement disruptive ou porteuse d’un avantage concurrentiel significatif.

Or, cette logique volontiers paternaliste entérine, voire accentue, le déséquilibre fondamental qui caractérise la relation entre les deux acteurs. Côté groupe, s’enracine un sentiment de supériorité qui n’incite pas à faire des efforts pour mieux coopérer, partager davantage ses informations et ses données, et se montrer plus accommodant dans ses processus. Côté startup, s’insinue une subordination implicite qui peut s’avérer très démobilisatrice, attisant notamment la crainte de se voir dépossédé du fruit de ses efforts.

Donner à chacun la certitude d’un partage risques-bénéfices équitable

Par réflexe culturel, les grands groupes ont tendance à attribuer les difficultés de la collaboration à l’absence d’un cadre approprié, ce à quoi ils s’empressent de remédier avec leurs outils habituels : structure dédiée, charte, règles, procédures, reportings… Mais cette logique de contrôle fait plus de mal que de bien. Pour le groupe, ce sont des processus supplémentaires, à faible valeur ajoutée et rapidement chronophages. Quant aux startups, elles n’ont ni le temps ni les ressources ni, encore moins, l’envie de se consacrer à de telles obligations. Fuir ce genre de contraintes a souvent été l’une des motivations premières du fondateur, dont le rêve est de développer à son idée sa propre entreprise, pas de se retrouver cadre dans le croupion d’un département R&D.

Dès lors, comment faire pour tirer parti des forces de chacun et ne pas brider le potentiel d’innovation de la startup ? À l’encontre de ses habitudes, la grande entreprise doit admettre que ce ne sera possible qu’au prix d’une relation plus informelle, plus souple, et qui donnera à chacun la certitude que les risques comme les bénéfices seront partagées équitablement. Autrement dit, une relation qui délaisse le contrôle pour la confiance.

Trois éléments clés

Un tiers garant – acteur financier, institution publique, organisation professionnelle… – peut contribuer à initier ce lien de confiance mais, pour perdurer, celui-ci doit reposer sur trois éléments clés.

Le premier de ces éléments est une relation personnelle à haut niveau. Le fondateur de la startup n’est pas un chef de projet mais un chef d’entreprise, et il doit être considéré comme tel. Son interlocuteur privilégié au sein du groupe doit avoir un rang approprié et suffisamment élevé pour pouvoir déblayer d’éventuels obstacles qui entraveraient la collaboration. Leur entente personnelle est le catalyseur du succès.

Deuxième facteur de confiance, une vision stratégique partagée. L’entreprise et la startup doivent s’accorder sur une perspective commune qui servira de guide tout au long de leur partenariat et ce, en dépit des inévitables aléas du processus d’innovation. Pour établir cet objectif commun, le groupe devra notamment consentir à partager ses perspectives de marché, ce qui constituera d’ailleurs un gage indéniable de sa bonne volonté.

Dans bien des cas, cependant, ce sont les frictions opérationnelles qui sapent peu à peu l’élan initial. Le décalage culturel entre d’absurdes lourdeurs administratives pour les uns et une dangereuse désinvolture pour les autres peut mettre en péril tout le projet. C’est pourquoi la confiance ne peut se limiter aux échanges entre les dirigeants. Elle doit se diffuser à tous les niveaux des deux organisations afin de fluidifier leurs interactions au quotidien. C’est là le troisième facteur clé et, sans doute, le plus difficile à atteindre car il exige des efforts de part et d’autre, et donc un changement à accompagner.

Alors que les grands groupes déplorent souvent l’absence d’interlocuteurs de taille suffisante dans leur filière, ils n’en tirent pas toujours la conséquence qu’il leur faut veiller à ne pas étouffer la croissance d’entreprises capables, à terme, de le devenir. Pour construire la France 4.0, il leur faut devenir des protecteurs de leur écosystème et user de leur taille non pour intimider mais pour instaurer un climat de confiance. À l’image de belles réussites dans des secteurs comme la santé ou l’aéronautique, c’est ainsi qu’ils favoriseront l’essor des startups qui les aideront à relever le défi de l’innovation de rupture.

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L’AUTEUR

Jacques LEFEVRE (Isae-Supaero) est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg et cofondateur de Trust Management Institute.

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par Gilbert Font

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