Comment déminer la transformation grâce au Contrat invisible
Par Brigitte Wartelle et Bernard Planchais
Pour répondre aux enjeux d’un environnement économique, sociétal et technologique en complète mutation, se transformer est pour la plupart des entreprises un impératif. Les structures doivent évoluer, les processus s’adapter, les personnes modifier leurs modes de pensée et de fonctionnement. Cependant, ces transformations sont d’autant plus délicates à mener qu’elles affectent souvent profondément l’activité et les personnes, et que le rythme accéléré des affaires commande de les réaliser rapidement.
Dans ces conditions, il n’est pas rare que la transformation soit douloureuse et qu’elle ne s’accomplisse qu’imparfaitement, laissant dans l’entreprise des séquelles parfois longues à se résorber. Le cas des grandes entreprises publiques est à cet égard exemplaire, comme l’a encore montré la récente réforme de la SNCF. Si la transformation de l’entreprise ferroviaire nationale apparaît aujourd’hui mal engagée en dépit de sa nécessité, ce n’est pas parce qu’elle a été abordée avec vigueur et détermination, mais parce que cette énergie a été maladroite. Au lieu de ne l’employer que dans un second temps, une fois le terrain dégagé, pour avancer rapidement, on l’a utilisée en amont pour secouer la torpeur et l’immobilisme supposés de l’organisation. Mais en pointant davantage du doigt les personnes que les structures, on a suscité une opposition d’une intensité proportionnelle, y compris jusque dans les rangs de l’encadrement, pourtant globalement favorable au changement.
L’ADN de l’entreprise conditionne ses réflexes
Cette réaction était en réalité prévisible. Les entreprises sont un corps social vivant et, à ce titre, doté d’un ADN propre, hérité de leur histoire. Cet ADN conditionne des comportements réflexes collectifs, comme se mobiliser sans compter pour sauver un projet, défendre un collègue ou rejeter en bloc des mots jugés en contradiction avec la culture maison. Dans le cas de la SNCF, la sensation qu’ont eue les agents qu’on doutait de leur dévouement et de leur compétence, deux valeurs cardinales du groupe, ont provoqué un réflexe de défense violent et unanime.
L’objet d’une transformation n’est pas de changer entièrement l’ADN de l’entreprise, qui fait son unicité, mais de le faire évoluer pour qu’elle puisse s’adapter à son nouvel environnement : renforcer les gènes existants en adéquation avec la cible, cultiver ou activer ceux qui seraient nécessaires mais insuffisamment développés, et atténuer ceux qui feraient désormais moins sens. Pour réussir la transformation, il est donc indispensable de bien connaître ce génome. Le décoder permet en effet de comprendre l’origine et le sens des réactions du personnel, d’anticiper les facteurs de blocage comme d’adhésion, et in fine d’ajuster de façon pertinente le processus.
Le Contrat invisible, un outil de « génomique d’entreprise »
Stratorg a élaboré un outil de « génomique d’entreprise », le Contrat invisible®, qui permet de dresser ce portrait-robot intime de l’organisation et, dans la perspective de la transformation, d’identifier ce qu’il va falloir changer, renforcer ou abandonner. Au travers d’ateliers rassemblant des panels représentatifs de l’ensemble des collaborateurs et de questionnaires diffusés dans toute l’organisation, on va mettre en évidence la personnalité profonde de l’entreprise, mais aussi comment elle se perçoit et comment elle se projette. Partager ces résultats, souvent assez homogènes de la base jusqu’au sommet de la hiérarchie, permet une prise de conscience collective qui, en dépit des différences d’appréciation, constitue le terreau dans lequel pourra germer et croître le grain de la transformation.
Méthode d’introspection participative, le Contrat invisible permet de décrypter l’ADN de l’entreprise, mais aussi d’amorcer et d’accompagner la conduite du changement. En consultant les collaborateurs, en les associant au diagnostic, on les implique, on les valorise, on les met en mouvement. Cette phase préparatoire, qui peut parfois sembler longue, se révèle au final un puissant accélérateur car elle permet ensuite d’avancer beaucoup plus vite et beaucoup plus loin. En reliant les objectifs de la transformation à l’héritage de l’entreprise, on donne au changement un sens et une logique qui facilitent l’adhésion. Et malgré les inévitables divergences, le processus se déroule dans un climat apaisé et constructif.
La transformation de la DCN (Naval Group), une réussite exemplaire
Au tournant des années 2000, nous avons participé à la transformation de la Direction des constructions navales (DCN), alors rattachée au ministère de la Défense, en société anonyme. Pour les personnels, ce changement de statut avait une portée symbolique extrêmement forte. Depuis toujours, leur fierté était de mettre leur expertise technique au service de l’intérêt supérieur de la Nation, et la terminologie « société anonyme » leur apparaissait comme une forme de reniement. Une vaste réflexion menée sur le terrain, avec la grande majorité des salariés, a permis de faire émerger le constat partagé que l’entreprise devait changer si elle voulait continuer à accomplir sa mission dans le respect de ses valeurs fondamentales. Et malgré des différences de vues sur les modalités concrètes, ce travail a permis de dépassionner le dialogue et d’établir une feuille de route consensuelle qui a abouti au changement de statut en 2003.
Grâce au Contrat invisible, la transformation ne se fait pas contre le passé, mais avec lui. Elle offre aux collaborateurs une perspective individuelle et collective qui ne les fustige pas mais dans laquelle ils peuvent au contraire se projeter. Et, avec eux, c’est toute l’entreprise qui peut dès lors avancer en confiance sur un chemin déminé. Il n’est pas trop tard pour la SNCF pour s’en inspirer.