Par Jean-Luc FALLOU
Pourquoi ai-je envie de me lever et d’aller travailler ce matin ?
La réponse à cette question ne figure pas dans le contrat de travail. Pourquoi l’entreprise apprécie-t-elle cet employé ? Pourquoi souhaite-t-elle le voir évoluer et grandir ? Le contrat de travail ne le dit pas plus.
Le nouvel embauché va vite détecter les comportements qui vont attirer l’attention et lui valoir de la reconnaissance, tout autant que ceux qui entraîneront l’indifférence, voire pire, l’hostilité ou la réprobation.
Dans cette entreprise de l’industrie lourde, à la tradition d’ingénieur marquée, il est évident que tout ce qui a trait à des sujets techniques, technologiques et d’innovation attire l’attention et la reconnaissance de la direction et des pairs. Même les non techniciens se prennent d’intérêt pour la technique.
Chez son concurrent principal, c’est en parlant contrat, relation commerciale, succès clients, que l’on obtient l’écoute et la reconnaissance. Et la technique, tout comme l’intendance suit. On appelle cela, souvent de façon vague, la culture d’entreprise.
De la culture au « Contrat invisible® »
Au centre de ce grand domaine qu’est la culture de l’entreprise, il y a une réalité très concrète qui est que chaque homme et chaque femme en faisant partie, échange en permanence ses attentes contre celles de l’entreprise.
Nous appelons cet échange le « contrat invisible® ».
Le contrat invisible® est la boîte noire des motivations et donc de l’engagement. Il recèle son code génétique et contient son ADN. Il n’est pourtant écrit nulle part bien qu’il constitue un des éléments les plus pérennes de l’entreprise.
Toute transformation de l’entreprise devra se faire en tenant compte de ce contrat invisible®. Car tant que chacun ne voit pas l’avantage qu’il tirera du nouveau contrat invisible® par rapport à l’ancien, la résistance active ou passive sera le comportement le plus courant.
Bien sûr les changements pourront être imposés. Mais si l’on détruit le contrat invisible®, il n’y aura pas d’engagement.
Donner des lunettes pour voir le contrat invisible®
Le contrat invisible® se décrit en demandant à un échantillon d’employés (ou à la totalité par voie digitale) d’’identifier dans une galerie de 25 portraits élémentaires ceux qui décrivent le mieux la société dont ils font partie.
Le contrat invisible® est alors reconstitué par la combinaison de ces éléments en spécifiant bien et très concrètement la nature de l’échange entre les comportements et les motivations qui les sous-tendent, ainsi que les garants (les personnes qui comptent pour que le contrat soit rempli) et les temps forts (les moments qui prouvent que ce contrat est rempli).
Illustration : Le contrat invisible® des sociétés de « Prestige social »
Ces entreprises sont souvent leaders de leur secteur et elles ont la plupart du temps développé ce leadership grâce à la sélection et à la promotion de talents issus des meilleurs centres universitaires.
Elles ont ainsi cultivé une image qui fait d’elles « une école prestigieuse après l’école prestigieuse », bref une aristocratie, et sont parvenues à donner à ceux qui rentrent dans ces entreprises le sentiment de faire partie d’une élite.
Ce sentiment d’excellence ne se limite pas au champ professionnel, mais il pénètre aussi le champ social. Ces entreprises ont créé ainsi une forme d’aristocratie et confèrent donc à leurs membres un statut social reconnu et éternel.
Le contrat invisible® « prestige social »
Être un ancien de cette entreprise est un passeport pour la vie.
Il y a bien sûr une compétition pour rentrer dans cette aristocratie et un travail important pour mériter sans cesse le titre de noblesse qu’elle confère, car le seul fait de se sentir usurpateur de ce titre créerait un mal être personnel que la rumeur interne relaierait.
Dans les entreprises de ce type, chacun s’attache à réaliser des performances systématiquement au-dessus de ce qui est attendu, car être juste au standard n’est pas une image que l’on accepte pour soi-même. Le sentiment de performance collective en est naturellement renforcé créant ainsi un cercle vertueux de performance qui appelle la performance.
Dans ce système chacun s’attache aussi à défendre le prestige social de l’institution et à montrer à ses pairs qu’il en est digne.
Les petites combinaisons de territoires fréquentes dans d’autres entreprises seront bannies car considérées comme vulgaires. L‘égoïsme n’y est pas moins fréquent qu’ailleurs, il y est juste plus subtil.
La présence active aux conventions annuelles dans des cadres prestigieux rassurent ou rappellent à chacun qu’il fait bien partie d’une élite, qu’il en jouit mais qu’il doit également s’en montrer digne.
On donne beaucoup de soi dans ces entreprises et il arrive que l’on se demande un jour qui on est vraiment en dehors de ce cadre prestigieux.
L’utilité pour le dirigeant de révéler le contrat invisible®
Pour le dirigeant, le contrat invisible® peut être le ressort ou le frein de l’entreprise. Bien sûr il doit pouvoir être transformé. Mais, parce qu’il touche à l’essentiel de ce qui fait la satisfaction et les repères des individus dans l’entreprise, chacun y est inconsciemment attaché.
Il est capital pour le dirigeant de connaître ce contrat invisible® afin de mener l’entreprise dans un monde qui lui demande une adaptation permanente
1 – Comprendre où sont les freins à la stratégie et à son exécution
L’environnement des entreprises change et les stratégies choisies le reflètent. Là où la compétitivité par les coûts a pu être un axe majeur dans un espace géographique sans croissance, celle-ci et la conquête de nouveaux territoires deviennent les nouvelles nécessités. Si le contrat invisible®, hérité d’impératifs stratégiques et managériaux du passé, a formaté les hommes et leur motivation autour d’un travail acharné et discipliné, il leur sera difficile de devenir facilement des entrepreneurs et des conquistadors. Ces mots leur feront peur et la stratégie de conquête sera freinée.
2 – Comprendre ce que sont les changements faciles et les changements difficiles
Le contrat invisible® en éclairant le dirigeant sur ce que sont les motivations et les « vaches sacrées » des individus donnera une vision très fine de l’énergie qu’il doit mettre dans les changements que la stratégie lui impose d’entreprendre et la manière dont il doit s’y prendre. Parmi ces grands changements, les plus classiques sont le décloisonnement, la fusion, la remotivation, le développement de l’esprit d’entreprise…
3 – Comprendre le degré d’« homogénéité » culturelle de l’entreprise
Les entreprises sont souvent la synthèse de rapprochements et de fusions successifs. Elles sont donc une « fédération » de contrats invisibles® qui ne se mélangent pas toujours harmonieusement. Donner au dirigeant une carte de ces différences culturelles et comprendre leurs points de proximité ou au contraire leur distance permet d’identifier où se situent les énergies perdues. Si l’entreprise est souvent faite de diversité, elle gagne néanmoins à développer un contrat invisible® au-dessus des autres par lequel tout le monde adhère à des valeurs qui créent l’engagement et donc la performance volontaire.
*Le contrat invisible® est une marque enregistrée par la société Stratorg