LA CONFIANCE, OU COMMENT RASSEMBLER LE TROUPEAU DE CHATS [14/31]. Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d’une nouvelle organisation de l’entreprise, voire d’un pays. « La Tribune », en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d’une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.
En octobre 1962, alors que des missiles nucléaires viennent d’être découverts à Cuba, J.F. Kennedy fait un immense pari. Convaincu que Khroutchev ne voudra pas plus que lui entraîner le monde à sa perte, il prend le risque d’adopter envers l’URSS une attitude d’extrême fermeté, mais sans agressivité, en ordonnant le blocus de l’île et en préparant ses troupes à l’invasion. Contre l’avis des va-t-en-guerre du Pentagone, il laisse cependant une discrète porte ouverte à la discussion, ce qui permettra finalement aux deux parties d’éviter à la fois le conflit et l’humiliation.
Apogée de la Guerre froide, la crise des missiles de Cuba fut aussi le point de départ de la détente entre Américains et Soviétiques. Dans cette confrontation paroxystique, s’est cristallisée la certitude que ni les uns ni les autres n’étaient prêts à tout sacrifier à une apocalypse nucléaire. Et s’il serait exagéré de parler de confiance entre les deux adversaires, ils s’accordent du moins tacitement sur les règles de leur futur jeu planétaire.
Parfois, mieux vaut un orage salvateur
De nos jours, dans le monde du troupeau de chats, l’habitude est au contraire d’éviter à tout prix le conflit. Surtout pas de vagues ! On s’effarouche du moindre accrochage et la confrontation, dernier refuge des brutes, des imbéciles et des apprentis sorciers, est forcément un échec dont rien de bon ne peut sortir. Bien entendu, il n’est pas question ici de pousser au pugilat mais, dans certains cas, refuser de percer hardiment un abcès peut se payer par des conflits larvés qui ulcèrent et gangrènent. Non seulement le problème originel n’est pas réglé, mais il se double d’un climat délétère et d’une défiance rampante entre les parties et envers ceux qui auraient eu vocation à les départager. Parfois, comme à Cuba, mieux vaut qu’un orage salvateur crève enfin ce ciel bas et lourd.
Spontanément, on a tendance à associer la confiance à des notions comme l’apaisement, la sérénité ou le consensus. En réalité, la confiance est avant tout une affaire de franchise et il est parfois bénéfique d’aborder sans détour, et avec une certaine vigueur, ses points de désaccord. C’est même paradoxalement l’un des plus puissants catalyseurs de la confiance car l’intensité du choc peut sublimer l’antagonisme et permettre de refonder la relation sur une forme d’estime mutuelle, voire de complicité. Pour cela, il faut toutefois que la confrontation soit maîtrisée et son énergie dirigée vers une sortie de crise, ainsi que JFK l’a admirablement fait.
Quand l’explication musclée mais correcte est la meilleure option
L’entreprise n’est pas étrangère à de telles situations où une explication musclée mais correcte s’avère la meilleure option. C’est notamment le cas lors d’une fusion entre deux organisations aux cultures voisines. En décryptant l’ADN respectif des deux entités, la méthode du Contrat invisible® peut faire émerger des valeurs ou des attitudes dont la similitude sera davantage source de conflits que de synergies. Par exemple, si deux entreprises industrielles sont chacune persuadées d’être le champion absolu de l’innovation ou l’expert incontesté de leur domaine, leur union est promise à faire des étincelles. Personne ne voudra céder et, au lieu de s’additionner, leurs forces s’annihileront dans une guerre de religion stérile, ou bien s’enliseront dans une organisation savamment équilibrée mais inefficiente et truffée de doublons. Le seul moyen pour sortir rapidement et par le haut de cette rivalité est de placer les deux équipes au pied du mur pour les contraindre à une confrontation salutaire. Puisque vous êtes si bons, montrez-le donc et que le meilleur gagne !
Quand le conflit couve et que la confiance est au plus bas, il faut s’appuyer sur des enjeux si fondamentaux que les acteurs n’ont d’autre choix que de parvenir à une solution car les conséquences d’un échec leur seraient intolérables. Pour Kennedy et Khroutchev, ce fut le refus de déclencher le feu nucléaire. Dans l’entreprise, ce peut être l’orgueil de relever un défi technique ou la volonté de conserver coûte que coûte une activité. Du conflit ainsi provoqué et maîtrisé naît alors un nouvel ordre purgé des divergences passées et porteur d’une confiance en germe.
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LES AUTEURS
Jean-Luc FALLOU (Insead, École des Mines) est le président de Trust Management Advisors-Stratorg depuis 1998, il est également le président-fondateur de Trust Management Institute.