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La confiance française se reconstruira par le bas

LA CONFIANCE, OU COMMENT RASSEMBLER LE TROUPEAU DE CHATS. [3/31] Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d’une nouvelle organisation de l’entreprise, voire d’un pays. « La Tribune », en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d’une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.

Au-delà des revendications et des incidents, la fièvre sociale de la fin de l’année 2018 a jeté une lumière crue sur le délabrement de la relation de confiance entre les Français et leur État. Or, c’est ce lien de confiance fondamental qui permet à notre pays de faire société et d’avancer uni en dépit de l’infinie diversité de ses habitants. Ce modèle, notre modèle, est aujourd’hui à réinventer entièrement. La tâche est immense, le défi tout autant, mais avons-nous le choix ?

La Révolution française a forgé le pacte qui, depuis, soude la nation. En dépit des changements de régimes et de majorités, des guerres, des révolutions et des crises qui ont émaillé ces deux derniers siècles, le modèle jacobin est demeuré l’inaltérable garant de l’unité nationale. Que vous soyez homme ou femme, jeune ou vieux, riche ou pauvre, catholique ou musulman, Normand ou Savoyard, l’État laïc centralisateur ne vous reconnaît qu’une seule qualité : celle de citoyen. Du système scolaire à la sécurité sociale, tout découle de cette impartialité égalisatrice, fondement de la confiance des Français. En France, en cas de coup dur, quand on se sent menacé dans sa sécurité ou dans ses valeurs, c’est vers l’État qu’on se tourne, bien davantage que vers ses voisins ou ses pairs.

Le modèle français, mal en point

Ce modèle est si profondément inscrit dans leurs gènes que les Français sont surpris, voire choqués, quand ils constatent qu’il peut en aller différemment ailleurs. Aux États-Unis, par exemple, le gouvernement fédéral est regardé avec circonspection et souvent considéré davantage comme un problème que comme une solution. En dernier recours, pour le citoyen américain, les garants de sa liberté – valeur suprême -, ce sont, comme au temps du Far West, son colt, son cheval (ou sa voiture) et le voisin sur lequel il peut compter. Plus près de nous, les Pays-Bas ont une autre culture encore, issue de leur double combat originel contre la mer et la couronne espagnole. La solidarité s’y exerce de façon ascendante, du voisinage jusqu’à l’État, qui n’en est le dernier maillon que par une regrettable nécessité.

Le modèle français n’est donc ni unique ni irremplaçable, mais il est mal en point. L’architecture jacobine, qui avait résisté à tout, vacille désormais sous les vents contraires de l’individualisme contemporain. Alors que son autorité est de plus en plus contestée, l’État centralisé peine à justifier sa légitimité. Nécessairement opaque et lent dans son fonctionnement, il ne peut répondre aux nouvelles exigences de transparence et d’immédiateté. Il n’est pas non plus configuré pour le dialogue local et les réponses rapides qu’impose dorénavant le primat de l’émotion. Enfin, fragmenté et incertain, le travail n’offre plus le lien de confiance immédiat qu’il était devenu à la suite du délitement des piliers identitaires traditionnels, religion, famille et village.

Le rond-point, nouvelle maille de la confiance

Ces tiraillements entre un système auquel, par attachement, les Français continuent d’ajouter foi et leurs inclinations profondes les plongent dans un profond désarroi. Ils sont pris dans un douloureux entre-deux, aspirant avec nostalgie à la claire stabilité de la confiance descendante mais refusant désormais ce qu’elle implique de soumission et d’abstraction de leur individualité, jaloux de leurs valeurs fondamentales de liberté, d’égalité et de fraternité mais ne se reconnaissant plus dans les institutions surplombantes qui les garantissent. Pour sortir de ce dilemme, ils recherchent de nouvelles expressions sociales susceptibles de faire la jonction entre leurs aspirations individuelles et collectives. Spontanément, on se rassemble entre personnes qui partagent la même expérience quotidienne. Le rond-point devient la nouvelle maille de la confiance.

Pour le pays, tout l’enjeu est de parvenir à reconstituer le ciment lézardé de la cohésion nationale depuis cet échelon élémentaire. Ceci requerra en premier lieu une vision claire et partagée, notamment sur la façon d’articuler local et général, diversité et universalité. Il faudra aussi une méthode robuste, capable d’emmener tous les Français, y compris les perdants et les réticents au changement, afin de jeter avec eux les bases neuves d’une confiance refondée. Les travaux de recherche du Trust Management Institute ont montré que la confiance n’était pas, comme on le croit souvent, une notion subjective et évanescente, mais qu’elle peut se mesurer et se construire de façon explicite à l’aide des outils appropriés. Ce sont de tels outils qui permettront d’obtenir les résultats rapides et tangibles, indispensables pour amorcer la dynamique du renouveau.

Trois motifs d’espoir

Le défi est immense et, comme souvent dans son histoire, la France est appelée à être un laboratoire politique et sociétal pour le reste du monde. Trois motifs d’espoir cependant. Le premier est que d’autres pays nous offrent l’exemple encourageant de discussions de proximité structurées et opérantes. Le deuxième est que la France fourmille déjà d’initiatives de dialogue local, souvent très intéressantes et fructueuses, et qu’il est temps de les valoriser pour en faire la règle et non de pittoresques exceptions. Enfin, le troisième est qu’il reste des figures respectées localement – maires, élus régionaux, chefs d’entreprise… – qui apparaissent comme les intercesseurs désignés d’un système plus girondin. Quant à l’État, il doit avant tout prendre conscience qu’il n’est plus en mesure de décréter la confiance républicaine mais qu’il a encore le pouvoir de créer les conditions de sa restauration.

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LES AUTEURS

Jean-Luc FALLOU (Insead, École des Mines) est le président de Trust Management Advisors-Stratorg depuis 1998, il est également le président-fondateur de Trust Management Institute.

Brigitte Wartelle (Siences éco, Celsa RH) est associée chez Trust Management Advisors-Stratorg et auditeur IHEDN (54e session).

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La publication a un commentaire

  1. Netter

    Bravo Jean-Luc. Très intéressant. J’ajouterais Facebook aux ronds points ou Fakebook comme on dit maintenant hélas. Les Jacobins centralisaient l’information et les décisions. Maintenant Facebook règne sur les ronds points. Et on lui fait confiance. Pour l’instant du moins.

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