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Du laboureur au conquérant, ou comment franchir le Rubicon du changement grâce à la culture

Du laboureur au conquérant, ou comment franchir le Rubicon du changement grâce à la culture

LA CONFIANCE, OU COMMENT RASSEMBLER LE TROUPEAU DE CHATS [19/31]. Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d’une nouvelle organisation de l’entreprise, voire d’un pays. « La Tribune », en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d’une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.

Dans le langage des startups, on appelle cela « pivoter ». Ailleurs, on dira changer de modèle, se repositionner, reconfigurer son offre ou se donner de nouveaux objectifs. Quels que soient les mots, ils signalent une transformation radicale car personne au sein de l’entreprise ne pourra plus exercer son métier comme avant. Et comme souvent face à de pareils changements, la culture apparaît comme le passage obligé de la réussite.

Un exemple parfait d’une telle transformation nous a été donné il y a quelques années par une entreprise de la sphère publique. Confrontée à une concurrence véloce et agressive alors qu’elle avait toujours été protégée par sa situation monopolistique, l’entreprise se devait de changer de posture vis-à-vis de sa clientèle. Il ne s’agissait plus seulement d’entretenir consciencieusement la satisfaction d’usagers captifs mais il fallait désormais convaincre sans cesse ces clients volatils avec de nouvelles propositions. Ayant parfaitement analysé les conséquences de cette évolution, la direction de l’entreprise a donc lancé un vaste programme de transformation pour rendre ses forces commerciales plus « conquérantes ».

Quelque chose n’avait pas fonctionné, mais quoi ?

Pour relever ce défi, rien n’a semble-t-il été laissé au hasard. L’organisation a été revue, les processus et les méthodes redéfinis, un outillage adéquat mis en place, de nouvelles offres élaborées et les commerciaux ont été formés par des professionnels extérieurs, experts du marché. Tout avait été pensé et mis en œuvre conformément au plan prévu. Et pourtant, dans les chiffres, aucun changement ne se faisait sentir. Ou plutôt, si : l’hémorragie de clients se poursuivait. Chaque mois, ils étaient des milliers à quitter l’entreprise et tout particulièrement les plus rentables, ciblés en priorité par la concurrence. Visiblement, quelque chose n’avait pas fonctionné, mais quoi ?

En réalité, les commerciaux n’avaient pas basculé culturellement. Ils avaient beau disposer de tous les outils, ils ne les utilisaient pas, non parce qu’ils ne savaient pas s’en servir mais parce que ce n’était pas devenu naturel. Lorsqu’une entreprise se transforme, et particulièrement lorsqu’elle change de modèle, on a tendance à se préoccuper du « hard » – processus, outils, organisation… – au détriment du « soft », c’est-à-dire l’appropriation et l’assimilation du changement par les équipes. Or, les formations ne suffisent pas car elles n’abordent que les compétences. Et lorsque le changement est profond, comme ici, les discours généraux de sensibilisation ou de motivation sont trop superficiels.

Comprendre les ressorts du blocage

Pour saisir les ressorts de ce blocage – que certains dirigeants et managers peinent à admettre -, il est nécessaire d’ausculter le corps social de l’entreprise. Il faut décrypter son ADN profond pour comprendre ce qui fonde les attitudes et les réflexes des collaborateurs, et donc ce qui entre en résistance avec les nouvelles attentes et qu’il faudra faire évoluer. Dans le cas de cette entreprise parapublique, l’analyse menée sur un échantillon représentatif des fonctions, de la hiérarchie et de la géographie de l’organisation a mis en évidence un génome culturel extrêmement homogène. Y prédominaient des valeurs très fortes de rigueur, de service et d’excellence technique ; à l’inverse, l’adaptabilité, la créativité ou l’audace en étaient absentes. En d’autres termes, les collaborateurs avaient une mentalité de laboureurs, cultivant leur champ avec soin et prudence, alors que, dans le nouveau contexte de l’entreprise, on attendait désormais d’eux qu’ils soient des conquérants, capables d’élargir leurs horizons et de prendre des risques.

Les points d’appui pour construire la nouvelle culture sont aussi les points de blocage qui découlent de l’ancienne. Ce sont ces verrous comportementaux qu’il faut identifier et sur lesquels il faut ensuite travailler. L’observation des commerciaux en situation réelle a permis d’identifier quatre freins culturels majeurs. Premièrement, une réticence à manier les offres, les outils et le discours nouveaux par crainte de se retrouver en difficulté vis-à-vis du client mais aussi de ses collègues environnants. Deuxièmement, une absence d’intérêt personnel à privilégier désormais la conquête sur la fidélisation. Troisièmement, un manque d’entrain à contribuer à des objectifs globaux lorsque la situation exigerait une collaboration avec d’autres services (marketing, support…). Enfin, quatrièmement, une absence de risques à ne pas changer.

Sortir de sa zone de confort pour activer la prise de risque et d’initiative

Ce constat a permis de co-construire tout un éventail d’outils destinés à désinhiber les commerciaux et à leur faire franchir le Rubicon de la conquête. L’objectif était de les amener à sortir de leur zone de confort pour activer en eux la prise de risque et d’initiative. Étant donné la culture interne, des incentives purement financiers n’auraient pas fonctionné. Il fallait avant tout que la nouvelle attitude suscite une reconnaissance ostensible de la part de la hiérarchie et des clients, même lorsqu’elle n’était pas couronnée de succès. Pour cela, ont notamment été mis en place une charte comportementale intitulée « Le plaisir de la conquête », des points dédiés dans toutes les réunions d’équipe, des interventions de clients satisfaits lors des évènements, et un coaching actif des managers.

Ces derniers ont d’ailleurs un rôle déterminant car c’est à eux qu’il appartient d’impulser les nouveaux comportements. Ils ne doivent pas stigmatiser ou mépriser l’immobilisme de leurs troupes, mais jouer pleinement leur rôle de moteur, de leader et de modèle. De façon générale, les collaborateurs sont, en grande majorité, prêts à se mettre en mouvement à condition de constater un alignement entre l’attitude et le discours managérial.

Dans ce type de transformation, qui exige des collaborateurs qu’ils remettent fortement en question leurs habitudes, cette approche par la culture permet de cibler précisément les leviers d’action. Elle permet aussi à l’entreprise d’élaborer un discours qui donne du sens au changement. Les collaborateurs se projetteront d’autant plus facilement vers l’avenir que celui-ci leur semblera une continuation de ce pour quoi ils ont travaillé jusque-là.

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LES AUTEURS

Jacques LEFEVRE (Isae-Supaero) est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg et cofondateur de Trust Management Institute.

Philippe DRENO (ESPCI, DEA de sciences des matériaux, MBA INSEAD) est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg, fondateur de Trust Management Institute.

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