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La confiance, le facteur X de la transformation digitale

LA CONFIANCE, OU COMMENT RASSEMBLER LE TROUPEAU DE CHATS [16/31]. Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d’une nouvelle organisation de l’entreprise, voire d’un pays. « La Tribune », en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d’une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.

Uberisation, robotisation, intelligence artificielle, cybersécurité… le vocabulaire du digital est non seulement excluant par son caractère technique, voire jargonneux, mais il est aussi terriblement anxiogène. Pour le non initié, la transition numérique en ressort comme un processus déstabilisant et des plus inquiétant. Il entend que tout va changer, mais il n’a ni repère ni certitude sur la place qui lui reviendra dans ce nouveau monde. « Où allons-nous ? Qu’ai-je à y gagner ? Cela ne risque-t-il pas de se retourner contre moi ? » Ces interrogations empreintes de défiance nourrissent une résistance au changement qui est, aujourd’hui, le principal frein à la transformation digitale des entreprises.

La transformation digitale ne consiste pas à numériser l’existant pour gagner en efficacité, mais bien à inventer, grâce à la donnée et à la connectivité, de nouvelles façons de créer de la valeur. Des documents partagés aux outils de conception industrielle collaboratifs, le digital crée de nouveaux processus tant au sein de l’entreprise qu’avec ses partenaires ou ses clients. Ouverts et transparents, ces nouveaux processus engagent les participants à s’exposer, à révéler au grand jour leur travail, leurs erreurs et jusqu’à certaines informations intimes. Plus encore qu’un changement d’outils et d’habitudes de travail, la transformation digitale exige donc des collaborateurs qu’ils se mettent d’une certaine façon en danger vis-à-vis de leur entourage professionnel. Seule une confiance sans faille peut les convaincre de sauter si loin de leur zone de confort, et toute transformation qui omettrait de poser cette fondation resterait, au mieux, inachevée.

Les quatre variables pour faire exister et vivre la confiance

Dans le contexte spécifique de la transformation digitale, la confiance est une fonction de quatre variables. La première, qui les commande toutes, est la stratégie. Pour fabriquer de la confiance, il est impératif de lever le flou sur l’avenir et de préciser clairement le projet digital de l’entreprise : quel sera son positionnement, ses objectifs, ses ressources, les évolutions de son modèle et de son offre… Alors seulement, les collaborateurs pourront se projeter vers un futur moins lourd de menaces et s’emparer de la transformation à travers les sujets qui les touchent le plus directement comme l’évolution des compétences.

Deuxième variable de l’équation de la confiance, l’organisation doit retrouver son rôle de cadre et de repère. Le digital apporte une rupture profonde dans la circulation de l’information, la répartition des connaissances, les modes de management et la manière d’aborder les problèmes. Il en découle une redistribution des rôles et des pouvoirs qui, si elle n’est pas reflétée dans une organisation remise à plat, créera des tensions et de la défiance. Ces frictions peuvent être verticales – le management intermédiaire est particulièrement exposé – ou horizontales – par exemple, entre la direction informatique et les métiers.

Nécessaire mais pas suffisante, la technologie est la troisième variable de l’équation. Il est fondamental que les collaborateurs aient confiance dans les outils qu’on leur fournit, mais aussi dans leurs propres capacités à bien s’en servir. S’il faut naturellement former les utilisateurs des nouvelles solutions et les entraîner dans une dynamique positive grâce à des bénéfices visibles et rapides, il ne faut pas pour autant négliger les populations qui ne seront pas, ou peu, impactées. En effet, le vocabulaire du digital va durablement et largement imprégner toute l’expression de l’entreprise, et il pourrait se créer une fracture irrémédiable avec celles et ceux qui ne possèderaient pas les clés minimales de compréhension.

Enfin, quatrième et dernier paramètre à intégrer, la culture de l’entreprise peut se retrouver en décalage avec les us et coutumes du digital. Imaginons, par exemple, les remous que peuvent susciter des échanges plus libres dans une organisation où règne une forte culture du secret ou un strict respect de l’autorité. L’instauration d’un climat de confiance passera alors par un travail sur les valeurs collectives et les attitudes réflexes vis-à-vis des questions clés (management, relation client, innovation…), et leur mise en cohérence avec le projet de transformation.

Une cinquième variable pour l’entreprise étendue

Dans le cas de l’entreprise étendue, qui associe des acteurs extérieurs, partenaires ou fournisseurs clés, au projet de transformation et dont le digital est un catalyseur incontournable, il faut ajouter une cinquième variable : la gouvernance par la confiance. Dans un écosystème digital transparent, le rapport de force n’est plus de mise et il devient même dangereusement contre-productif. Pour que la collaboration soit créatrice de valeur pour tous, elle doit se fonder sur un objectif et des règles clairs, notamment un juste partage des risques et des gains. Ce cadre permet alors aux différents acteurs d’apporter sans crainte leur contribution à la collectivité et d’en tirer les fruits démultipliés.

Ces questions sont si vastes et si profondes qu’il ne saurait être question de déléguer le digital au CIO, ou même à un CDO (à moins qu’il n’ait le pouvoir d’engager l’entreprise par délégation du CEO). En effet, seule la direction est en mesure d’agir de manière coordonnée et décisive sur ces axes clés qui conditionneront la confiance des collaborateurs dans le projet digital, et donc leur adhésion.

Concilier les échelles d’analyse, refonder le pacte collectif

Tout l’enjeu est alors de concilier la hauteur de vue nécessaire pour établir une vision à moyen et long terme, et la connaissance intime des rouages de l’entreprise pour mesurer l’étendue des changements nécessaires. À cette dualité des échelles d’analyse doit répondre celle des temporalités, partagées entre le temps long nécessaire à la transformation et le rythme effréné de l’innovation numérique auquel vivent les projets qui la sous-tendent.

Bien que le défi soit de taille, il est en lui-même une formidable chance pour l’entreprise car, autour du digital, se rejoignent comme rarement les attentes de la base (le « troupeau de chats ») et les besoins du sommet. En s’appuyant sur une démarche de confiance, cette convergence offre une opportunité unique de refonder le pacte collectif de l’entreprise.

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LES AUTEURS

Gilbert FONT (HEC, SCPO Paris, IMD), avec une expérience de quarante ans en tant que directeur financier, DRH et directeur général, est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg.

Jacques LEFEVRE (Isae-Supaero) est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg et cofondateur de Trust Management Institute.

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