LA CONFIANCE, OU COMMENT RASSEMBLER LE TROUPEAU DE CHATS. [7/31] Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d’une nouvelle organisation de l’entreprise, voire d’un pays. « La Tribune », en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d’une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.
On disait jadis de l’empire de Charles Quint que le soleil ne s’y couchait jamais. Qui, de nos jours, imaginerait qu’un pays peut encore se targuer d’une telle épithète ? Et pourtant, les Français l’ignorent souvent, mais ce pays, c’est le leur. De fait, la France peut être considérée comme le plus vaste archipel du monde, ce dont elle tire des atouts incomparables : la deuxième plus vaste zone économique exclusive au monde, des ressources naturelles exceptionnelles, des Outre-mer situés sur les cinq océans aux carrefours des grandes voies maritimes et une Métropole à la proue de l’Europe, ouverte sur l’Atlantique et la Méditerranée… La France est un géant des mers qui s’ignore et qu’il est plus que temps de réveiller.
Bien que l’économie maritime française pèse déjà 80 milliards d’euros et 340.000 emplois (*) , son potentiel reste largement sous-exploité. Conscients du gisement de croissance et d’emplois qui dort sur, sous et au bord des mers, les professionnels et les pouvoirs publics ont œuvré ces dernières années à mettre en place les nécessaires catalyseurs pour l’exploiter davantage. Depuis 2006, le Cluster maritime français (CMF) réunit l’ensemble des acteurs de l’écosystème maritime et, en 2017, a été créé le Comité France maritime, une instance partenariale innovante entre le CMF et le Secrétariat général de la mer (SGMer), afin de renforcer la concertation et de favoriser des décisions rapides. Mais, en dépit de ces efforts, l’économie maritime française stagne, loin du dynamisme affiché, par exemple, par les pays d’Europe du Nord et la Chine.
Créer une « équipe de France du maritime »
La débâcle actuelle des énergies marines renouvelables (EMR), l’une des nombreuses filières de cette économie bleue, compile la plupart des raisons de ce marasme : ambiguïtés de l’État, annonces sans lendemain, moyens mal orientés, complexité administrative, guerres picrocholines et luttes fratricides… Autant de facteurs qui empêchent la France de développer rapidement une filière au potentiel et aux avantages pourtant avérés. Là comme ailleurs, le problème fondamental est qu’il n’y a qu’une seule mer et que le littoral n’est pas extensible ! Il en résulte inévitablement des conflits d’usage et des tensions parfois vives entre les acteurs. Ce n’est qu’en surmontant ces antagonismes et en parvenant à jouer enfin collectif que notre pays pourra réellement tirer parti de son or bleu.
Créer une telle « équipe de France du maritime » n’est nullement un vœu pieux. il a démontré qu’il est possible, grâce à la confiance, de sortir par le haut de ce type de situation, où cohabitent au sein d’un écosystème borné des acteurs aux intérêts divergents. Par le dialogue et la méthode, on amène les parties à reconnaître leurs enjeux réciproques, à se donner des buts communs et à unir leurs forces pour les atteindre. Or, dans le domaine maritime, si les acteurs ont de nombreux sujets de dissensions, ils ont aussi quantités de raisons de se mettre autour d’une table : l’aspiration commune à un développement durable de l’économie maritime et littorale, un même attachement à la mer et à sa préservation, les solidarités de fait que crée cet environnement à nul autre pareil, avec son droit, ses compétences, ses exigences et ses risques si particuliers…
Qui pour piloter le développement de l’économie maritime ?
Source de frictions, cette proximité constitue aussi un facteur de compréhension mutuelle et donc le creuset d’une confiance constructive. Sur un sujet donné, les acteurs concernés peuvent convenir d’un objectif qui transcende leurs divisions. À l’image des « commandos de filière » évoqués dans un précédent article, ils peuvent alors trouver dans l’alignement, la coordination, la mutualisation et la coopération des leviers à même de créer un surplus de valeur qui non seulement préserve, mais maximise leurs intérêts respectifs.
À cette équipe de France, il faut toutefois un entraîneur. L’étendue, la complexité et l’imbrication des questions nécessitent en effet une capacité transversale d’orientation, de mobilisation, de soutien et d’arbitrage. À cet effet, la France pourrait initier un mode de fonctionnement inédit, ne relevant ni d’un dirigisme révolu ni du catalogue de mesures, mais capable de faire émerger et aboutir les initiatives du terrain. S’inspirant de la façon dont les entreprises conduisent leurs grands projets, le développement de l’économie maritime serait confié à une équipe de pilotage mixte, pluridisciplinaire, relativement restreinte mais dotée d’une réelle capacité d’action et d’une légitimité indiscutable. Son rôle serait de formaliser l’ambition maritime de la France à l’horizon 2030-2040 avec l’ensemble des acteurs concernés, puis de décliner cette vision stratégique sur les sujets clés – ports, pêche, EMR, construction navale, biotechnologies, exploitation minière… – avec des objectifs et une feuille de route précis. Elle se mettrait alors au service des acteurs dans un rôle de coordinateur et de facilitateur, s’attachant notamment à assurer la cohérence de l’ambition nationale et à lever les obstacles – juridiques, administratifs, techniques, financiers… – à leurs projets.
Légère et pragmatique, cette approche originale serait à même d’engager une dynamique de confiance vertueuse parmi les acteurs du monde maritime, et de donner à cette équipe la cohésion et l’élan nécessaires pour que la France accomplisse son destin de grande puissance maritime du XXIe siècle.
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(*) CMF, 2018
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LES AUTEURS
Bernard PLANCHAIS (X, Ensta) est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg et vice-président de Trust Management Institute.
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