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La confiance, ou comment rassembler le troupeau de chats

LA CONFIANCE, NOUVELLE ARME DU MANAGEMENT ? 1/31.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d’une nouvelle organisation de l’entreprise, voire d’un pays. « La Tribune », en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d’une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.

Imaginez un troupeau de chats. Ils ne sont pas mal intentionnés, ils sont même plutôt sympathiques, mais, quoi qu’on leur dise, ils n’en font qu’à leur tête. Sitôt réunis, ignorant leurs congénères autant que leur maître, ils s’en vont chacun de leur côté, poussés par d’insondables motivations. Aucune image ne peut mieux retranscrire la situation à laquelle sont aujourd’hui confrontés tous les groupes sociaux. Nations, entreprises, associations, communautés de toutes sortes sont autant de « troupeaux de chats », constitués d’individus qu’il est de plus en plus difficile de rassembler et de diriger vers un but commun.

Cette évolution majeure, qui façonne comme aucune autre nos sociétés démocratiques contemporaines, la sociologue Dominique Schnapper l’a décryptée, et un autre sociologue, Alain Ehrenberg, l’a résumée avec justesse sous le terme d’« individu incertain ».

Au pays de la liberté absolue, dans les tourments de l’incertitude immanente

Selon Dominique Schnapper, au terme de siècles de lutte contre toutes les formes de coercition, les individus ont enfin atteint la plénitude de la liberté. Ils jouissent d’une autonomie et d’une indépendance sans précédent, mais, avec les contraintes, ont aussi disparu les repères. Au pays de la liberté absolue, l’exaltation laisse alors la place au vertige. Puisque tout est possible, ou presque, comment choisir ? Que faire ? Où aller ? On glose souvent sur la « quête de sens » qui serait le propre des Millennials, mais c’est une interrogation qui traverse chacun et chacune d’entre nous, et qui n’est qu’amplifiée chez les jeunes générations parce qu’elles sont plus libres encore que leurs aînées.

Il en résulte une société où l’individu est constamment tiraillé entre des aspirations antagonistes, contrariées par la confrontation des égoïsmes. Il est jaloux de son indépendance, mais recherche perpétuellement le lien social. Il vit dans et pour l’instant (et plus encore avec le digital), mais aimerait avoir des certitudes de long terme. Il revendique haut et fort sa différence, mais s’efforce de trouver sa place dans un groupe dont il déplore le manque d’attention à son égard. Il regimbe à toute forme d’autorité, mais n’hésite pas à la réclamer (pour autrui) lorsqu’il le juge utile. Insatisfait, défiant, livré à lui-même, l’individu est ainsi sans cesse aux prises avec ces conflits intimes qu’exacerbent de surcroît les tropismes culturels de l’époque – culte de l’urgence, idéologie de la transparence, primauté de l’émotion. Et le voilà, poussé par cette incertitude immanente, qui se disperse et s’éloigne comme le chat hors du troupeau.

Comment redonner le sens du collectif aux individualistes indociles

Qu’il s’agisse d’un gouvernement cherchant à réformer, d’une entreprise désireuse de se transformer ou d’une équipe sportive en quête de performance, toutes les organisations se heurtent aujourd’hui à cet individualisme indocile. Toutes se posent la même question du rassemblement et de l’implication des individus qui les composent.

Existe-t-il un ciment suffisamment fort pour (re)créer le sentiment du collectif, suffisamment ductile pour qu’il puisse s’orienter vers un avenir partagé, et suffisamment souple pour s’accommoder malgré tout des aspirations individuelles ? Il nous semble qu’un tel matériau existe en effet, à la fois durable et supérieur à l’addition des intérêts égoïstes. Ce matériau, c’est la confiance, car elle constitue le socle primordial des relations humaines. Comme le synthétise Dominique Schnapper, « dans toute société, le fondement des échanges sociaux repose sur la confiance que les êtres humains s’accordent les uns aux autres, sur la confiance qu’ils manifestent à l’égard de leurs institutions, sur la confiance qu’ils ont ensemble dans l’avenir. »

Affirmer le rôle de la confiance comme nouvelle poutre-maîtresse des structures collectives a pour conséquence fondamentale d’en faire un objet du réel. Jusqu’à présent, la confiance était un sentiment intangible, diffus, intime, parfois tabou. Un climat dans lequel on évoluait. Désormais, elle devient une notion explicite, concrète. C’est un sujet que l’on questionne, un indicateur que l’on mesure, une matière que l’on travaille, une ressource précieuse que l’on cultive et que l’on développe, un ferment qui amorce et entretient la transition vers un nouvel état. Aussi, la confiance ne se décrète pas, mais doit se construire par le dialogue et l’empathie, et avec l’aide d’outils appropriés. Bref, ni naïve ni incantatoire, elle devient pour les dirigeants un instrument de management à part entière et le levier de la construction d’un avenir collectif dans notre monde tant épris de liberté.

PROCHAIN ARTICLE : Le contrat invisible, la boîte noire de la confiance
par Jacques Lefevre et Jean-Luc Fallou

Jean-Luc FALLOU (Insead, École des Mines) est le président de Trust Management Advisors-Stratorg depuis 1998, il est également le président-fondateur de Trust Management Institute.

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