La crise du Covid-19 a montré que, dans certains cas, nous n’étions plus capables de produire des biens stratégiques. Une solution à ce problème est de cesser de placer nos relations avec les fournisseurs sous le seul impératif de la réduction des coûts, expliquent les auteurs.
Les Echos 17.06.2020
La crise du Covid-19 a révélé la fragilité du fil tendu à l’extrême sur lequel évoluent les entreprises. On s’est amèrement aperçu que l’on n’était plus capable de produire des biens stratégiques parce qu’on les tenait pour d’insignifiantes commodités. Aujourd’hui, c’est une pandémie, mais demain ? Un conflit géopolitique ? Une cyberattaque dévastatrice ? Un krach financier ? Une catastrophe naturelle ? Dans un environnement aussi incertain, l’entreprise doit faire de la résilience sa première vertu.
Cette résilience passe d’abord par celle de l’écosystème des fournisseurs. Or ce n’est pas en les sommant de baisser leurs prix de 20 % qu’on l’obtiendra. Par trop fréquente, cette attitude témoigne de la dangereuse dérive de certains services achats. Poussés par les exigences financières, les acheteurs se focalisent exclusivement sur le coût. Sûrs d’avoir le dernier mot, usant volontiers du bâton du risque juridique face à toute velléité de les déjuger ou de les contourner, ils forment parfois un Etat dans l’Etat. Auxiliaires zélés de la double tyrannie du court terme et de la transparence, efficaces et intransigeants, ils ont détruit des relations de longue date, des liens de confiance et de fidélité pour faire entrer l’entreprise dans le cercle vicieux du low-cost. Pourquoi un fournisseur ferait-il un effort sur la qualité, s’il est sûr que seul le prix comptera ? Pourquoi investirait-il en R & D si sa valeur n’est pas reconnue ? Le résultat, nous le constatons aujourd’hui : absence de dialogue et d’horizon, manque de diversité des sources d’approvisionnement, chaînes de valeur précarisées.
Ouvrir une piste de réflexion
En soulignant les conséquences délétères de la confusion systématique entre mieux-disant et moins-disant, il ne s’agit pas de dresser le réquisitoire des achats, mais d’ouvrir une piste de réflexion. En effet, plutôt que les agents aveugles de la vulnérabilité de l’entreprise, les achats peuvent devenir ceux, vigilants, de sa résilience. Pour cela, ils doivent entrer dans une logique où le fournisseur n’est pas un vassal à pressurer, où d’autres critères que le prix sont considérés : coûts indirects et à long terme, externalités, localisation, préservation des savoir-faire, respect de bonnes pratiques sociales et environnementales, perspectives de collaboration… Et parce que leur but est de protéger l’entreprise, et non de se protéger eux-mêmes, leurs exigences doivent aller au-delà d’une conformité minimale.
Le service achat doit être comptable de sa responsabilité en matière de risques et intéressé à la création de valeur durable plutôt qu’à la réduction immédiate des coûts. Seul ce pilotage l’incitera à se montrer plus coopératif avec les demandeurs internes comme avec les fournisseurs. Aujourd’hui, la défiance est telle qu’il n’est pas aisé d’instaurer une collaboration fructueuse, mais la filière aéronautique, notamment, a démontré que c’était faisable et bénéfique. Quand le donneur d’ordre laisse plus de latitude à ses fournisseurs, reconnaît leurs enjeux, accepte d’endosser en partie les risques et favorise les échanges, il renforce leur engagement et tire pleinement parti de leur potentiel. Centraux, les achats peuvent être les architectes de ce « new deal relationnel » qui démultiplie la capacité de l’écosystème à créer de la valeur et à résister aux chocs.
Cela est aussi valable pour les achats publics. Souvent, le prix, le respect scrupuleux des procédures et le contrôle de l’objectivité des décisionnaires finissent par l’emporter sur l’intérêt collectif, avec des effets pervers sur le coût total et la qualité, mais aussi sur l’impact économique que pourrait (devrait) avoir la commande publique.
Plutôt que de tendre toujours plus la corde sur laquelle chemine l’entreprise, les achats doivent donc s’attacher à tresser le filet de fournisseurs qui la sauvera en cas de coup dur. Mais c’est in fine aux dirigeants qu’il appartient de changer les règles du jeu en misant sur la confiance pour mettre la puissance des achats au service d’une compétitivité durable.
LES AUTEURS
Jean-Paul Bailly, ancien Président de la RATP et de la Poste, est associé de Trust Management Advisors
Jacques Lefèvre est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg et cofondateur de Trust Management Institute
Jean-Georges Malcor, ancien CEO de CGC, est associé de Trust Management Advisors
Bernard Planchais, ancien DGD de Naval Group, est associé de Trust Management Advisors