Par Gilbert FONT et Jacques LEFEVRE
Managers en perdition : depuis une dizaine d’années, les managers subissent de plein fouet les vagues de changements qui déferlent sur l’entreprise. Malmenés et désorientés, ils souffrent d’un mal-être qui affecte insidieusement la performance de l’organisation et sa capacité à se transformer. Pour les entreprises, il est urgent de prendre la mesure de ce malaise et de recréer, grâce au Contrat invisible, un climat de confiance plus que jamais indispensable.
Cheville ouvrière de l’organisation, le manager a pour mission de mobiliser ses équipes pour atteindre les objectifs fixés par sa hiérarchie. Or, depuis une dizaine d’années, cette position de courroie de transmission entre la direction et le terrain est de plus en plus inconfortable. Les profondes mutations économiques, technologiques et sociétales qui affectent l’entreprise se répercutent, à leur niveau, par six grands facteurs de déstabilisation :
- Un maelström technologique et économique
Pour essayer de s’adapter aux évolutions de son environnement, l’entreprise est devenue un chantier permanent. Les plans de transformation, les réorganisations, les déploiements informatiques et les innovations en tout genre se bousculent à un rythme effréné, chaque nouveauté aussitôt chassée par la suivante. Les managers doivent doublement digérer cette boulimie de changements, puisqu’ils doivent les inculquer à leur équipe et les mettre eux-mêmes en pratique.
- Des injonctions paradoxales
Le plus souvent, ces changements s’accompagnent d’une complexification du fonctionnement de l’organisation. Pour les managers, les organigrammes matriciels, les groupes de projet, la transversalité, l’entreprise étendue se traduisent par une multiplication des interlocuteurs, des priorités concurrentes, des directives contradictoires et des objectifs parfois antinomiques, ce qui les plonge parfois dans un complet désarroi.
- Des équipes indociles
Les managers sont les premiers témoins du nouvel âge de l’individualisme. Leurs équipes reflètent les évolutions sociétales actuelles, avec des collaborateurs plus autonomes, plus exigeants, mais aussi plus compétents, qui n’hésitent pas à questionner et à défier leurs instructions. Et bien que ce puisse être globalement une richesse en termes d’initiative et d’innovation, cet état d’esprit peut aussi s’avérer un casse-tête d’un point de vue opérationnel.
- Des doutes personnels
En tant qu’individu, le manager vit lui-même les évolutions qu’il constate chez ses collaborateurs. Il remet lui aussi en question le bien-fondé des choix de sa hiérarchie, il s’interroge sur son rôle et son utilité, et il aspire à trouver davantage de sens dans son travail.
- Une financiarisation omniprésente
Ce sens, ce n’est guère dans les chiffres qu’il pourra le trouver. Le plus souvent, ses indicateurs de performance, ses objectifs individuels comme collectifs, ses éléments de rémunération et de motivation sont largement financiers, en ligne avec l’évolution globale de l’économie. Cette tendance peut en outre nourrir une fracture entre le manager et son équipe, qui peut le soupçonner d’être plus intéressé en tant qu’actionnaire que salarié, et donc d’avoir des intérêts divergents des siens.
- Des outils traditionnels en faillite
Pour mobiliser, les managers s’en remettent généralement d’instinct aux trois grands outils qui ont longtemps fondé leur légitimité : l’autorité, l’information et le savoir. Mais les évolutions actuelles fragilisent ces leviers traditionnels et les rendent moins opérants. Ainsi, alors que le manager tirait son autorité d’être le représentant unique et incontournable de la direction, ce n’est plus nécessairement le cas dans des organisations aplaties, décentralisées et matricielles. De même, le développement grâce aux outils électroniques de contacts plus directs et moins formels a sapé le pouvoir qu’il tirait d’être le passage obligé de toute information, montante ou descendante. Enfin, avec un savoir accessible à tous et en constante évolution, ses compétences se dévalorisent rapidement, et les opérationnels en savent très vite plus que leurs supérieurs qui perdent le contact avec l’exécution.
Une souffrance source d’inefficacité
Sous l’effet conjugué de ces facteurs, la position jadis enviée du manager est de plus en plus chancelante. Ballottés au gré de transformations qui s’enchaînent avant d’être achevées et dont ils subissent plus les désagréments qu’ils n’en voient les résultats, les managers ne croient plus à ce qu’on leur demande. Il leur faut relayer des directives auxquelles ils n’adhèrent pas et se faire l’agent de changements qu’ils n’approuvent pas. Pris entre le marteau de leur hiérarchie et l’enclume de leur équipe, ils éprouvent un malaise, voire une souffrance, qui est une vraie source d’inefficacité pour l’entreprise. Le désengagement des managers affecte leur rendement, celui de leurs équipes, et donc, de façon insidieuse, la performance de l’organisation et sa capacité à se transformer. Pour l’entreprise, perdre l’implication de ses managers au moment même où elle a plus que jamais besoin de leur capacité d’entraînement est aujourd’hui un risque majeur.
La confiance, antidote au désengagement
Cette situation n’est cependant pas une fatalité. Les managers ne sont pas voués à perdre pied face à la complexité grandissante de leur environnement. Pour y faire face, ce dont ils ont avant tout besoin, c’est de retrouver la confiance. Confiance dans leurs supérieurs, confiance dans leurs équipes, confiance dans l’institution de l’entreprise, confiance, enfin, dans leur rôle et leurs propres capacités à l’assumer. Ce climat de confiance, il appartient à la direction de l’entreprise de l’instaurer, ou de le restaurer, préalablement à toute initiative de transformation. Les efforts qui y seront consacrés seront largement repayés par l’investissement retrouvé des managers qui porteront d’autant plus efficacement le projet qu’ils seront convaincus de sa pertinence.
Le Contrat invisible, un pacte pour la confiance
Conscientes toutefois de l’importance d’associer les managers à leurs projets, les entreprises cherchent souvent à les co-construire avec eux, mais une telle démarche reste en deçà des enjeux et du mal-être latent au sein de l’organisation. Sans confiance, la co-construction sera jugée comme une tentative de la direction d’obtenir une caution plus qu’une adhésion, et le projet ne reposera pas sur des fondations solides.
Dans ce contexte, le Contrat invisible® apparaît comme un instrument privilégié pour restaurer et diffuser la confiance au sein de l’organisation. Outil de décryptage de l’ADN profond de l’entreprise, le Contrat invisible met en lumière les ressorts de l’engagement individuel et collectif. En amont d’une transformation, il permet d’identifier les points sensibles, qui devront évoluer, et les invariants, sur lesquels on pourra s’appuyer. Au lieu d’être un obstacle au changement, le pacte collectif ainsi révélé devient un levier qui favorise l’adhésion des managers.
Expliciter les objectifs de la transformation et confronter ses enjeux aux forces et aux faiblesses de l’organisation met fin aux non-dits. Moins en porte-à-faux avec leurs supérieurs comme avec leurs équipes, les managers sont les premiers à bénéficier de cette situation assainie. Plus en confiance, ils n’ont plus ce sentiment épuisant d’une course sans but, mais se trouvent au contraire revalorisés dans leur fonction. Réinvestis, ils sont dès lors en posture de relever les défis de l’évolution de leur rôle pour leur propre bénéfice et celui de l’entreprise.